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Arbitrage et pétrole dans le Golfe persique

Dernière mise à jour : 27 juin

Les réponses de Docteure Hengameh Khakbaz aux questions

du Club de l’arbitrage Propos recueillis par Adam Malek et Raphaëlle Marie




Arbitrage et pétrole dans le Golfe persique  Les réponses de Docteure Hengameh Khakbaz aux questions  du Club de l’arbitrage

Chère Docteure,

bonjour et merci de prendre le temps de répondre à nos questions. Vous avez rédigé et récemment soutenu une thèse portant sur l’arbitrage et le pétrole pétrole dans le Golfe persique.


  • Pourquoi avoir choisi l’arbitrage pétrolier et pourquoi spécifiquement dans le Golfe persique ?


Chère Madame Marie,

Tout d’abord, je vous remercie de votre invitation àéchanger sur ma thèse de doctorat intitulée “Arbitrage et pétrole”. S’agissant de l’origine de mon sujet, je peux mentionner deux motifs. Il est incontestable que le secteur de l’énergie ne cesse de figurer en première

page de l’actualité mondiale. Le fait même de feuilleter les journaux relatant l’histoire de l’arbitrage international permet d’observer l’évidence : les affaires les plus emblématiques et les plus contestées appartiennent à l’industrie de l’énergie ; cette industrie qui est le plus grand utilisateur de l’arbitrage international (1).


Les longs processus, les coûts élevés et la complexité des procédures d’arbitrages pétroliers durant ces dernières décennies ont retenu mon attention.


La genèse de mon sujet a ses racines dans les deux plus grandes affaires de l’histoire de l’arbitrage, Crescent et Yukos.


Ces deux affaires ont une longue histoire. Il est à rappeler que l’affaire Yukos est arrivée à son terme au bout de 9 ans, et l’affaire Crescent, entamée il y a plus de 14 ans, n’est pas encore résolue ; et à mon sens, elle est loin de trouver une issue. L’ampleur des réclamations monétaires, le montant colossal de la sentence Yukos – qui égalait 50 milliards de dollars en 2014 et 60 milliards dollars en 2023, la demande de 32 milliards de dollars dans l’affaire Crescent seulement pour les dommages et intérêts, ainsi que la nature unique et politique des contrats pétroliers, sont autant d’éléments qui m’ont orientée vers la problématique de l’influence de ces spécificités sur le régime du règlement des différends par voie d’arbitrage. De surcroît, l'analyse de la pratique des arbitrages pétroliers met en lumière l’alliance dynamique et indéniable qui existe entre le pétrole et l’arbitrage, si bien que lorsqu'un contentieux porte sur le pétrole, l’arbitrage constitue la seule forme de justice assurant et préservant les intérêts tant publics que privés des

contractants, sans qu'aucune alternative pratique ne se dessine.


Pourquoi le choix du Golfe persique ? Cette zone est considérée comme la plus pétrolifère du monde, une région géostratégique au cœur des enjeux énergétiques mondiaux. La mise en exergue de la spécificité du Golfe persique est manifeste au regard de l'émergence historique de l'exploitation pétrolière dans cette région et de l'influence que cette source d'énergie a exercée sur le reste du monde. Les spécificités juridiques, économiques et politiques, comprenant les risques géopolitiques et les sanctions internationales liés à la matière et à la région, ont sans nul doute, eu des répercussions significatives sur l'arbitrage pétrolier, faisant du Golfe persique la région la plus appropriée à étudier par rapport à d'autres pays producteurs de pétrole. Par ailleurs, les caractéristiques distinctives de ce territoire attirent les flux des Compagnies pétrolières internationales, qui englobent l'ensemble des activités de l'exploration et de l'exploitation, incluant le transport et la commercialisation.


Cette expansion des opérations suscite l'émergence de différends entre les acteurs, rendant impératif le recours à l'arbitrage international.


  • Les arbitrages liés au pétrole font ils face à des enjeux spécifiques par rapport à ceux du secteur de l’énergie en général ?


L'ampleur et la complexité du secteur de l'énergie découlent de sa portée véritablement internationale, de la nature et de la disponibilité des sources d'énergie, de la multitude des transactions, des acteurs et des parties prenantes, ainsi que de sa nature évolutive. Il me semble que chaque secteur de l'énergie possède ses caractéristiques et ses défis propres.

Les projets d'énergies renouvelables ou pétroliers sont vastes et compliqués. Par leur nature et leur structure, ils sont porteurs d'éléments transnationaux et se situent dans des lieux bien précis. En revanche, l’arbitrage dans l’énergie renouvelable et le changement climatique est relativement récent. Il va sans dire qu'actuellement, les litiges liés aux énergies renouvelables et au changement climatique aux États- Unis, à l'exploitation minière en Afrique et en Amérique latine, constituent partiellement les domaines de la pratique de l’arbitrage.


Les coûts d'investissement dans les secteurs relevant des ressources naturelles, telles que le pétrole et le gaz, sont excessifs. Un projet offshore en eaux profondes dans le Golfe persique, ainsi que la construction et la mise en service d’une plateforme de production flottante, peuvent nécessiter un investissement supérieur à 12 milliards de dollars américains. Il est évident que plus le montant de l'investissement est élevé, plus le montant réclamé est fort, et plus les frais de justice des parties le sont

aussi.


Le défi majeur dans l'industrie pétrolière découle de sa nature évolutive qui influe sur les différends. Autrefois, les litiges en matière d'arbitrage pétrolier se déroulaient entre les investisseurs et les États, en particulier concernant l'expropriation directe et indirecte, mais aujourd'hui, les contrats de services, les questions fiscales et la révision du prix du gaz

conduisent nécessairement à l’arbitrage.


Or, l'origine des arbitrages liés aux litiges concernant le changement climatique peut découler de la violation des engagements de l'Accord de Paris par les contractants et les entrepreneurs. Certes, le défi particulier dans les arbitrages liés au changement climatique concerne l'évaluation du quantum des

dommages, et un expert en la matière doit trouver la meilleure solution pour incorporer les effets des politiques et des risques climatiques dans ses analyses. Cependant, avec la vague de sortie des pays européens du TCE, la relation entre le changement climatique et l’arbitrage est imprécise.


De plus, les différends arbitraux dans le secteur des énergies renouvelables portent principalement sur les modifications des régimes de subvention, de retard de construction, les problèmes de chaînes d'approvisionnement, et les litiges financiers. Enfin, le sujet d’ordre public est étroitement lié à l’arbitrage pétrolier et au secteur de l’énergie. Par sa nature, le pétrole a toujours été influencé par les politiques publiques, dicté et contrôlé par les intérêts géopolitiques et économiques des pays souverains. Ainsi, le rôle et l'intervention des États hôtes à toutes les étapes, de la conclusion des contrats pétroliers jusqu'à leur exécution, ainsi que le moment de l'exécution ou l’annulation de la sentence arbitrale pétrolière, sont indéniables.


  • Ces enjeux sont-ils propres à la région du Golfe persique ou partagés avec d’autres zones d’exploitation du pétrole ?


Cette question est vaste, mais je peux mentionner quelques défis qui influencent le régime de l'arbitrage dans la région. Les types de contrats pétroliers et les clauses d'arbitrage insérées dans ces contrats varient en fonction des lois, de l’économie et des politiques du pays d’accueil. Il arrive que les acteurs de l'industrie instaurent des dispositions de règlement des différends spécifiquement pour les contrats pétroliers. À titre d'exemple, l’American Association of Petroleum Landmen, dans l’Accord-type Deepwater Production Handling and Operating Services Agreement de 2006, a prévu une procédure d’arbitrage accélérée. Également, la nouvelle génération de contrats pétroliers iraniens (IPC), outre la clause d'arbitrage introduite dans le contrat, énumère des conditions plus détaillées concernant l'arbitrage dans son annexe.


Le Golfe persique se distingue des autres pays producteurs et exportateurs d’hydrocarbures comme la Russie, la Lybie, l’Algérie et le Venezuela, non seulement par son unité géographique, mais également par sa spécificité juridique qui, en s’appuyant sur la common law et la civil law, est influencée par le facteur religieux, affectant le régime de l’arbitrage.


Par ailleurs, les pays de cette région partagent un régime politique autoritaire, et l’intervention, directe et indirecte, des États demeure relativement forte. À titre d’exemple, l’Arabie saoudite, du fait de l’importance de l’industrie pétrolière, malgré son adhésion à la convention CIRDI, ne tient pas compte des différends relatifs au pétrole, et son décret royal n° M/8 énonce que les litiges pétroliers peuvent être résolus par voie d’arbitrage, dans le cadre du système juridique saoudien, en prenant en considération la charia. Des conditions plus ou moins similaires se retrouvent dans d'autres pays de la région quant à l'accès à l'arbitrage dans les contentieux pétroliers. À cela, s’ajoutent les sanctions internationales et les instabilités politiques et législatives de l’État d’accueil dans la région, dont les empreintes sur l'industrie pétrolière sont considérables.


Enfin, la pratique arbitrale dans le secteur pétrolier laisse à penser que, si l’arbitrage par la Convention CIRDI a bien été accueilli dans les pays d’Amérique

latine, les pays du Golfe persique, quant à eux, l'ont exclu.


Par conséquent, divers facteurs, dont les questions politiques et économiques de chaque pays disposant de ressources naturelles, constituent un impact sur le régime de l'arbitrage.


  • Quelles perspectives à venir voyez-vous pour l’arbitrage pétrolier ?


En dépit de toutes les vicissitudes dans l’industrie, à mon avis, l’arbitrage dans les contentieux pétroliers promet des jours meilleurs. Le changement constitue un élément inhérent à l'industrie pétrolière, aux différends qui en découlent, et à l'arbitrage pétrolier

international. II me semble que les nouveaux litiges seront étroitement liés aux progrès technologiques, aux fluctuations financières, aux changements des conditions économiques et fiscales, aux questions environnementales, ainsi qu'aux cyber-risques qui entourent les pipelines pétroliers. Ces éléments représenteront les défis majeurs futurs de l'industrie et de l'arbitrage pétrolier.


De mon point de vue, s'il est essentiel de se concentrer sur les problèmes actuels pour trouver des solutions adéquates, il devient également nécessaire de garder une longueur d’avance en anticipant les conflits, et, par la suite, les solutions susceptibles pouvant être proposées. La force de l'arbitrage international réside dans sa capacité à évoluer en permanence pour répondre aux exigences de nouvelles formes de litige, et à s'adapter aux attentes des parties prenantes.


C'est pourquoi, étant donné l'ampleur et la complexité des différends pétroliers, j’ai proposé dans ma thèse l'idée d'établir un règlement d'arbitrage spécifique et uniforme qui réponde, de manière idoine et uniforme aux besoins spécifiques des contentieux pétroliers.


                                       

(1) En 2021, 29% des affaires enregistrées par le CIRDI concernaient l’industrie pétrolière, gazière et minière (ICSID Annual Report 2021, p. 27). La même année, les différends en matière d’énergie et de ressources constituaient 25% de la charge totale de travail de la LCIA (LCIA Annual Casework Report 2021, p. 8), et en 2020, les litiges relatifs à l'énergie ont généré l’un des chiffres les plus élevés des affaires arbitrales, représentant, à eux seuls, 17,6% de la charge de travail de la CCI (ICC Dispute Resolution 2020 Statistics, p. 17).


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