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Photo du rédacteurClub de l'arbitrage

Conférence Arbitrage et fiscalité (18 avril 2024)

Dernière mise à jour : il y a 5 jours



Compte rendu

Baptiste RIGAUDEAU et Anne Sophie TONIN

Associés Lead up AARPI


Résumé : L’auteur réalise un compte rendu des discussions intervenues lors d’une conférence récente et portant sur les problématiques de fiscalité et d’arbitrage organisées autour de trois grands axes : la prise en compte des questions de fiscalité (i) dans l’arbitrage commercial ; (ii) dans l’arbitrage d’investissement ; et (iii) dans l’évaluation du préjudice.


Mots clés : Fiscalité ; arbitrage ; impôts ; commercial ; investissement


Le 18 avril 2024, le Club de l’arbitrage, Sorbonne Arbitrage, Lead up avocats et le Master 2 Opérations et Fiscalité Internationales des Sociétés (OFIS) organisait à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne une conférence sur le thème de l’arbitrage et de la fiscalité.


Les intervenants composant le panel étaient

• Juliette Fortin (FTI Consulting)

• Philippe Cavalieros (Simmons & Simmons)

• Prof. Arnaud de Nanteuil (Université Paris-Nanterre)

• Co-modérateurs : Prof. Daniel Mainguy (Université Paris I – Sorbonne) et Prof. Gauthier Blanluet (Université Paris II – Panthéon Assas)


Les discussions ont débuté par une introduction mettant en lumière le point clef du sujet : les questions de fiscalité touchent à l’ordre public international et elles sont normalement en dehors du champ de ce qui est arbitrable (c’est-à-dire ce qui peut faire l’objet d’un litige déterminé par un arbitre).


Le propos introductif soulignait également que dans les arbitrages d’investissement internationaux (arbitrage entre investisseurs étrangers et état), on traite régulièrement des conséquences indirectes des mesures fiscales prises par l’État et qui impactent l’investissement étranger en question. De même, dans ces arbitrages, il convient de distinguer les demandes fondées sur des contrats publics qui peuvent contenir des clauses régissant les obligations fiscales des parties (y compris si la partie est un état) et les demandes fondées sur des traités d’investissement, ces deux types de demande n’étant pas traités par les mêmes tribunaux arbitraux. S’ajoute à cette difficulté la prise en compte de traités entre états destinés à résoudre les litiges d’interprétation fiscale dans lesquels il existe des clauses d’arbitrage inter-étatique. Ces clauses prévoient généralement le caractère non contraignant de l’arbitrage.


À la suite de cette introduction, la première intervention s’est attachée à faire un panorama des problématiques fiscales traitées dans l’arbitrage commercial (arbitrage entre entités commerciales).


Tout d’abord, les problématiques fiscales dans ce type d’arbitrage peuvent soulever des questions en amont, concernant notamment les questions qui sont arbitrables (« il existe des ilots d’inarbitrabilité dans un océan d’arbitrabilité » dixit P. Cavalieros). Ainsi, un tribunal arbitral peut parfaitement traiter de l’incidence contractuelle d’une mesure fiscale applicable aux cocontractants, mais il ne peut en aucun cas se substituer à l’État pour établir le montant d’une redevance due, ou pour établir l’assiette de l’impôt.


Ensuite, certaines questions peuvent se poser au cours de l’arbitrage. Par exemple, dans un litige post-acquisition, les parties peuvent être en désaccord sur la responsabilité de la charge fiscale avant acquisition. Des questions de compétence du tribunal arbitral peuvent également être soulevées, pour notamment déterminer les conséquences d’une mesure fiscale imposée à une des parties.


Enfin, sur le fond, il peut s’agir de déterminer le droit à réparation d’une des parties qui a dû supporter la charge fiscale à tort, en violation de la répartition contractuelle. Enfin, après la procédure d’arbitrage, des questions peuvent se poser sur la possibilité d’exécuter une sentence qui traite de créances fiscales contre une partie étatique. En droit français, il semble établi que l’État doive renoncer expressément à son immunité d’exécution (Cass. Com. 13 avril 2023, Commisimpex c. RDC). Par ailleurs, d’un point de vue pratique, au stade de l’exécution, il est possible de saisir les créances fiscales dues par des tiers pour exécuter une créance vis-à-vis d’un État.


En outre, ont été évoqués les contrats d’État ou contrats négociés entre parties privées et parties étatiques, qui peuvent donner lieu à des arbitrages. Ce type de contrats peut contenir notamment trois types de clause, intéressantes d’un point de vue de la fiscalité :

• Les clauses de conformité à la législation fiscale de l’État ;

• Les clauses d’exonération fiscale, partielle ou totale ;

• Les clauses de stabilité fiscale (ex. clause de cohérence, clause de gel, clause d’équilibrage, clause d’adaptation ou renégociation fiscale)


Le taux de succès dans ces arbitrages étant bien plus élevés que dans les arbitrages fondés sur des traités de protection des investissements étrangers (ou TBI), les parties ont tendance à vouloir inclure ces clauses dans leurs contrats. Ces clauses ont démontré leur efficacité pour les investisseurs. Ces clauses sont enfin moins sujettes à interprétation (à la différence des dispositions des traités de protection des investissements) et elles facilitent donc le travail des tribunaux arbitraux.


La seconde intervention se concentrait sur le traitement des problématiques fiscales dans l’arbitrage d’investissement sur le fondement d’un TBI.


Les obstacles au succès d’une demande d’arbitrage portant sur des mesures fiscales devant un tribunal constitué sur la base d’un TBI sont plus nombreux. Ils peuvent être de nature procédurale. Ainsi, les TBI ne sont pas toujours applicables en matière fiscale. Certains contiennent des exclusions expresses ou des limites quant à la matière fiscale. Par exemple, le Traité sur la Charte de l’Énergie ne s’applique aux mesures fiscales que s’il y a d’abord eu une réclamation devant les autorités fiscales nationales.


Certaines décisions de tribunaux d’investissement ont aussi introduit une condition de bonne foi. Celle-ci postule que l’exception fiscale pourra être contournée si l’investisseur peut prouver que la mesure fiscale prise à son encontre l’a été de mauvaise foi, de manière abusive pour l’éliminer. À l’inverse, s’il s’avère que la mesure fiscale a été prise dans le but légitime de baisser ou augmenter un impôt de façon indifférenciée, non discriminatoire, alors l’exception s’applique.


Sur le fond, la mesure fiscale pourra être contestée souvent sur le fondement de la notion d’expropriation ou sur l’absence de traitement juste et équitable. Ainsi, si une mesure revêt un caractère confiscatoire, elle sera considérée comme une expropriation indirecte (v. Marvin Roy Feldman v. Mexico, 16 décembre 2002). Concernant le traitement juste et équitable, il est crucial d’analyser la manière selon laquelle la mesure est appliquée : si elle est discriminatoire, disproportionnée, ou encore si elle s’applique en dépit des « attentes légitimes » des investisseurs (équivalant à une attente de sécurité juridique), elle a de grandes chances d’être interprétée comme une violation du TBI.


La troisième intervention se concentra à expliquer l’impact de la fiscalité sur l’évaluation du préjudice en arbitrage international. Cet impact est double : il s’applique pendant l’arbitrage pour prendre en compte les obligations fiscales des parties pour évaluer leur préjudice (« une surcompensation ou sous-compensation est possible si la fiscalité n’est pas correctement prise en compte » dixit J. Fortin), et après l’arbitrage pour étudier les obligations fiscales dont ils doivent s’acquitter une fois la sentence rendue et quel que soit le montant qui leur est attribué. Les tribunaux arbitraux, du fait de sa complexité, ont rarement traité de cette question.


En ce qui concerne la réparation du préjudice, le principe est celui d’une réparation intégrale, que ce soit en matière d’arbitrage commercial qu’en arbitrage d’investissement. Partant de ce principe, il est indispensable d’évaluer tous les paramètres pouvant avoir un impact sur la situation de la victime depuis les agissements contestés, y compris les paramètres fiscaux. Cela commence par la prise en compte de tout impôt applicable sur les bénéfices, car tout bénéfice qui a été perdu et qui serait compensé par une sentence doit être majoré de tout impôt sur les bénéfices s’y appliquant.


Cette question de l’impôt est souvent largement négligée par les parties aux litiges et par extension par les tribunaux arbitraux, du fait de sa complexité et de la nécessité de faire appel à d’autres experts fiscalistes en plus de ceux dédiés à l’évaluation du préjudice. Cette analyse fiscale soulève plusieurs questions concernant (i) la charge d’imposition à appliquer dans une situation contrefactuelle ; et (ii) l’évaluation de l’indemnité demandée pour compenser un manque à gagner.


Dans le premier cas, il faut s’interroger sur (a) la durée et la période de perte des bénéfices ; (b) le taux d’imposition des sociétés applicable à chaque période déterminée ; (c) la base de calcul des bénéfices imposable pour chaque période (en tenant compte, par exemple, de la dépréciation des actifs à des fins fiscales, des abattements, etc.) ; et (d) les autres pertes éventuelles qui pourraient être compensées au cours de la période (par exemple, dans le cas où la société victime ferait partie d’un groupe au sein duquel des dispositifs fiscaux spécifiques s’appliqueraient).


Dans le second cas, une analyse devra être réalisée en prenant en compte le fondement de l’imposition de l’indemnité demandée, la période au cours de laquelle l’indemnité sera soumise à l’impôt et le territoire de l’imposition de l’indemnité. Une telle analyse donne également lieu à la détermination de l’imposition applicable en fonction des différents États impliqués dans l’opération économique objet du litige. À ce titre, il faut examiner s’il existe une symétrie d’imposition entre les bénéfices perdus d’une part (hypothétiquement soumis à l’impôt dans la juridiction d’origine de la société lésée) et l’indemnité d’autre part (potentiellement imposable en tant que revenu ou gain en capital lorsqu’elle est perçue par la société lésée ou une société affiliée dans une autre juridiction).


L’ensemble des présentations, et des réponses aux questions posées par les participants à cette conférence, a mis en lumière l’importance des questions fiscales dans le traitement des demandes d’arbitrage, tant commerciales que d’investissements. La complexité de ces questions ne peut cependant rebuter les parties à les mettre en débat sous peine de manquer la possibilité d’obtenir l’entière réparation de leur préjudice. C’est donc en faisant appel à des experts/avocats rompus à ces problématiques que les parties en litige, et les tribunaux arbitraux constitués, sauront rendre toute justice à la fiscalité dans ce domaine.




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